Nourrir le futur : une nouvelle option durable pour diversifier nos diètes

par Gina Wynn
Avec la population de la planète atteignant 7,7 milliards et plus et toujours en croissance, dans un avenir proche il sera de plus en plus difficile de fournir à tous une bonne alimentation riche en protéines. La méthode actuelle de culture et de distribution d’aliments nuit énormément à l’environnement. Le bœuf et les autres sources de protéines sont souvent trop dispendieux pour les communautés à faible revenu.
Une équipe de chercheurs à l’Université Tufts s’est fixé comme objectif de s’attaquer à cette problématique. Elle cherche à développer une nouvelle source alternative de viande à faible impact environnemental qui pourrait être facilement cultivée et distribuée. Celle-ci est basée sur des cultures de cellules de chenilles.
Natalie Rubio est chargée de mener l’étude avec l’aide de ses coéquipiers Kyle D. Fish et David Kaplan, PhD, du département de génie biomédical, et Barry A. Trimmer, PhD, du département de biologie. L’équipe a reçu un financement pour son projet grâce au « New Harvest Cultured Tissue Fellowship ».
Végétarienne depuis longtemps, Rubio espère que son travail avec les cultures de cellules aura un impact sur le système alimentaire. « Nous produisons des aliments de façon plus simple et efficace, » dit-elle. « Puisque nous n’utilisons pas d’animaux, c’est aussi beaucoup mieux pour l’environnement, ça peut avoir un énorme impact sur la santé publique et la sécurité alimentaire, ainsi que d’être d’un grand avantage pour le bien-être des animaux. »
Améliorations dans l’agriculture
L’équipe de Rubio s’efforce d’améliorer l’ensemble des systèmes alimentaires d’origine animale et végétale. En plus de compromettre le bien-être des animaux, l’élevage de bétail produit mondialement des émissions importantes de gaz à effet de serre, tels le méthane et l’oxyde nitreux provenant des déchets animaux. Prendre soin du bétail et fournir des terres pour que les troupeaux paissent épuise les ressources naturelles d’eau et de sol. L’élevage de bétail utilise de précieux terrains agricoles pour cultiver de la nourriture pour les animaux plutôt que pour les humains.
Selon Rubio, il y a aussi des considérations plus pratiques. « L’agriculture animale traditionnelle demande beaucoup de ressources parce qu’on crée des animaux entiers qui sont vraiment complexes... et ensuite on récolte seulement certaines parties précises, juste leurs tissus musculaires et adipeux. »
Les plantes en essor
Tandis que les alternatives végétales sont moins nuisibles à l’environnement, certains soutiennent qu’elles manquent les protéines complètes de qualité qu’ont besoin les humains pour bâtir des muscles et rester satisfaits. Une de ces alternatives, le soja, protéine de haute qualité fréquemment utilisée, a suscité des inquiétudes quant à ces effets secondaires potentiels.
Impossible Foods, qui utilise le soja dans son Impossible Burger, répond directement à ces inquiétudes.
Dans l’article « Soy: facts, myths and why it’s in our new recipe » sur le site web de la compagnie, son auteure Sue Klapholz, MD, PhD, vice-présidente de la nutrition et de la santé, conteste les affirmations que « le soja cause le cancer du sein, réduit la fertilité masculine, et interfère au fonctionnement de la thyroïde. »
Cependant, le marché pour les alternatives alimentaires végétales est certainement robuste. L’Impossible Burger lancé en 2016 a déjà sorti une version 2.0 en 2019 qui est maintenant offerte dans plus de 15 000 restaurants aux États-Unis, à Hong Kong, à Macao, à Singapour, et en épicerie dans huit états.
Rubio est d’accord que les produits végétaux comblent les besoins de nombreuses personnes, mais elle croit qu’il faut donner aux gens des options. « Ceci n’est pas un problème à solution unique. Je crois qu’il est très important d’avoir plusieurs alternatives qui offrent des avantages variés et parmi lesquelles les gens peuvent faire leur propre choix, » dit-elle.
Pour certains mordus de la viande, les alternatives végétales ne sont pas à la hauteur. Selon Rubio, « La conversion aux produits végétaux est une bonne solution, mais la plupart des gens mangent encore de la viande. Ça ne satisfait pas le désir pour la viande. »
Une alternative grasse et juteuse
Rubio croit qu’avec les cultures de cellules de chenille et d’autres insectes, elle et son équipe ont une forte chance de reproduire le goût savoureux et juteux et la texture ferme de la viande que les gens apprécient. Ils ont déjà eu du succès à manipuler la nutrition et la texture de la viande d’insecte afin d’imiter la consistance musculaire du bœuf.
« Ce qui manque est les produits moins transformés. Plusieurs alternatives végétales sont des substituts de viande hachée, mais il n’y a pas vraiment de substituts pour le steak ou les coupes naturelles de viande, » dit Rubio. « C’est quelque chose que nous croyons plus réalisable avec la viande cultivée. Puisque c’est du véritable muscle squelettique, elle devrait avoir l’allure, le goût, et la sensation exacte des coupes de viande d’un animal. »
Selon Rubio, le gras est fondamental. À date, son équipe était concentrée sur les cultures de cellules musculaires, mais maintenant ils vont incorporer des cultures de cellules adipeuses à la recherche. Le gras devrait rehausser la nutrition et ajouter des propriétés variées aux produits, le plus important étant la jutosité.
Cellules de chenille versus cellules de vache
Mais pourquoi ne pas manipuler des cellules de vache à la place des cellules de chenille pour atteindre cet objectif? Une équipe de scientifiques aux Pays-Bas menée par le professeur Mark Post de l’université Maastricht a déjà fait des avancées dans ce domaine. En 2013, ils ont créé la première boulette de hamburger cultivée en laboratoire à partir de cellules souches — au coût de 215 000 £. « Mais le prix diminuerait de façon significative une fois la demande bien établie, » a dit Post au journaliste Pallab Ghosh dans l’article « Team wants to sell lab grown meat in five years » publié par BBC News.
« Le principal défi de la production de viande cultivée en ce moment est qu’elle est difficile à produire en grande quantité et c’est très dispendieux à produire, » a dit Rubio. « Les cellules de mammifères comme les cellules de vache, de porc, et de poulet sont très difficiles en matière d’environnement dans lequel elles se développent. Elles ont besoin d’une température particulière, un pH particulier, et d’un bon équilibre d’éléments nutritifs et d’oxygène pour bien croître. »
Rubio et son équipe constatent que les cellules d’insectes sont plus adaptées à la culture en laboratoire parce qu’elles ont différentes exigences de croissance que les cellules de mammifères. « Elles sont plus tolérantes de leur environnement et peuvent survivre une plus grande plage de températures et de pH et avec moins d’éléments nutritifs, » a dit Rubio. « En utilisant une différente source de cellules, nous pouvons faciliter la technologie et la rendre moins coûteuse. »
Mise à l’échelle locale
La mise à l’échelle de la production de viande de chenille serait plus abordable aussi. Seulement une petite colonie de chenilles suffit pour commencer, selon Rubio, dont son équipe récolte les œufs de leur colonie afin d’isoler les cellules embryonnaires. Les cellules sont ensuite cultivées pour les transformer en muscle et en gras. Cultivées dans un laboratoire, elles se gardent longtemps.
« L’accent de la mise à l’échelle est d’induire ces cellules à se multiplier dans un environnement idéal, » dit Rubio. « En ce moment au laboratoire nous le faisons à petite échelle — à l’échelle de millilitres de milieux de croissance, avec lesquels on alimente les cellules. »
Elle envisage le processus comme étant semblable à l’utilisation des cultures de cellules par l’industrie pharmaceutique pour créer des produits thérapeutiques, ou l’utilisation de grandes cuves de fermentation par les brasseries pour produire de l’alcool à partir d’une levure. D’énormes bioréacteurs ou cuves de fermentation permettraient la multiplication de cellules dans un environnement contrôlé. Une fois que les cellules présentent une densité suffisante, on pourrait recueillir les cellules et les transformer en produits alimentaires.
« Ce serait une grande économie de terre et d’eau en termes d’impact environnemental, » a dit Rubio. « Un tel procès pourrait être facilement géré au niveau local afin de fournir des alternatives à la viande à bas prix aux communautés défavorisées. »
Comestible et nutritif
Les recherches de l’équipe ne sont pas tout à fait au stade où un produit a été développé et est prêt pour la mise au marché. En étant le seul groupe qui se concentre sur la culture de cellules d’insectes pour des applications alimentaires, ils savent qu’il y a encore beaucoup à apprendre. Rubio ne sait pas quels défis et obstacles réglementaires ses produits de viande cultivée auront à faire face ou même si les consommateurs les accepteront.
Elle spécule, toutefois, que si les gens en faisaient l’essai, ils vont trouver son substitut de viande « rien de trop étrange ». On dit que lorsque ses cellules ne sont pas manipulées, la viande de chenille a un goût et une texture similaire aux fruits de mer, tels le homard et le crabe. Mais ce n’est pas l’objectif ultime. Rubio et son équipe travaillent au niveau cellulaire pour influencer le goût et la texture, pour que le produit final soit impossible à distinguer de la viande véritable.
« Nous ne cherchons pas à créer une nouvelle catégorie de produit, » a dit Rubio. « Nous cherchons à produire des articles alimentaires qui ressemblent à s’y méfaire aux boulettes, steaks, bacon, ou poitrines de poulet. »
À l’essentiel, l’équipe de recherche utilise une différente source de cellules pour produire la viande avec laquelle les gens sont déjà habitués, tout comme ils utilisent le crabe artificiel dans leurs recettes au lieu du crabe véritable afin de réduire les coûts. Rubio a expliqué que l’espèce dont la viande provient serait différente, mais serait toujours un aliment comestible et nutritif — bon pour nous, et vastement mieux pour la santé de notre planète.