Guérir les communautés : L’importance d’une recherche médicale inclusive
Par Kelley Northam
Lorsque les médecins enfilent leur blouse blanche et entrent dans la profession médicale, ils récitent traditionnellement le serment d’Hippocrate, en s’engageant à respecter les normes d’éthique. Un extrait du serment publié par le Penn State College of Medicine se lit comme suit : « Je m’efforcerai d’établir une relation amicale avec mes patients et j’accepterai chacun d’eux sans porter de jugement, en appréciant la validité et la valeur des différents systèmes de valeurs et en accordant à chaque personne une pleine mesure de dignité humaine. »
Si la formulation a varié depuis qu’Hippocrate - connu comme le père de la médecine - l’a probablement écrite il y a plus de deux mille ans, le principe du serment de ne pas faire de tort à autrui est resté le même. Cependant, l’histoire nous a montré que des torts ont été causés et qu’une partie de la guérison peut être accomplie par une recherche médicale plus inclusive.
Écarts, diagnostics erronés et mauvais traitements
En août 2024, un sujet historiquement tabou a soulevé l’indignation internationale après que des chercheurs ont découvert des métaux toxiques dans des tampons. Dans l’article « Tampons as a source of exposure to metal(loid)s » publié dans la revue Environment International, une équipe de chercheurs de l’Université de Berkeley a évalué les concentrations de 16 métaux dans les tampons et a trouvé des traces de ces 16 métaux, y compris de l’arsenic et du plomb, dans toutes les marques et gammes de produits. Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour déterminer les effets sur la santé, il n’existe pas de niveau d’exposition « sûr » à ces métaux toxiques. Les recherches antérieures sur les métaux lourds ont largement établi un lien entre l’exposition et de nombreux problèmes de santé, notamment des troubles cardiovasculaires, endocriniens et cérébraux.
Si ces résultats sont préoccupants, nombreux sont ceux qui ont trouvé tout aussi préoccupant que cette recherche soit la première du genre. Le tampon a été breveté en 1933 et est devenu un produit auquel des milliards de personnes font confiance. Aujourd’hui, aux États-Unis, 52 à 86 % des personnes qui ont leurs règles utilisent des tampons, et pourtant, il a fallu plus de 90 ans pour découvrir ces risques.
Le cancer du sein est également connu depuis des siècles, avec des descriptions remontant à environ 3 500 ans avant notre ère. Bien que de nombreux progrès aient été réalisés en matière de diagnostic et de traitement, les tendances actuelles indiquent qu’il reste encore beaucoup à faire. En 2022, l’American Cancer Society a indiqué que les femmes noires ont 41 % plus de risques de mourir d’un cancer du sein que les femmes blanches. Chez les femmes noires, le cancer du sein est souvent diagnostiqué plus tardivement que chez les femmes blanches, et les femmes noires diagnostiquées ont une espérance de vie inférieure de cinq ans. L’American Cancer Society a également indiqué qu’elles ont deux fois plus de risques de mourir d’un cancer de l’utérus et plus de risques d’être diagnostiquées d’un cancer de l’estomac, du foie et du pancréas que les femmes blanches.
Faire de l’inclusivité une norme de l’industrie
Il existe une myriade d’autres exemples de ces lacunes dans la recherche médicale, tels que la crise du SIDA et le fait que des chercheurs ont refusé de traiter des hommes noirs malades lors de l’étude de Tuskegee sur la syphilis, pour n’en citer que quelques-uns. Les femmes, les personnes de couleur et d’autres communautés ont été sous-étudiées, mal desservies et négligées dans la recherche médicale, au détriment de leur bien-être financier, physique et mental.
Aujourd’hui plus que jamais, de nombreux scientifiques et professionnels de la santé s’efforcent de rendre la recherche médicale plus inclusive afin que les innovations et les thérapies profitent à tous. Selon l’article « Combating Bias in Medicine » publié par la Havard Medical School, ce travail commence par la reconnaissance et la suppression des préjugés personnels. L’article suggère que les chercheurs devraient effectuer un examen de conscience et réfléchir à leurs expériences vécues et à leurs valeurs implicites afin de révéler les biais inconscients. Après avoir déterminé les angles morts, ils doivent rester attentifs à ces préjugés et s’efforcer de les surmonter afin d’offrir une expérience positive à tous les participants.
La méfiance à l’égard des responsables de la santé est également un obstacle à l’inclusion. Parce que de nombreuses communautés ont des relations difficiles avec les professionnels de la santé, elles sont moins susceptibles de vouloir participer à des essais cliniques et à d’autres études. Selon le forum politique « Achieving Diversity and Its Benefits in Clinical Research » publié par l’American Medical Association (AMA) Journal of Ethics, les chercheurs doivent se familiariser avec les normes culturelles et les croyances de la population étudiée. Grâce à ces connaissances, ils peuvent éviter les suppositions et aborder les différences culturelles avec humilité et empathie. Pour recruter des participants dans le respect des normes éthiques, les chercheurs doivent mettre en place des plans de sensibilisation faisant appel à des canaux de communication communautaires et institutionnels de confiance, tels que les lieux de culte ou les associations de quartier. Les dirigeants de la communauté et les participants potentiels doivent également être impliqués dans le recrutement. Enfin, ils doivent communiquer fréquemment les progrès et les résultats afin de favoriser la transparence et d’instaurer la confiance.
Faire progresser la médecine — pour tout le monde
Nombre de ces stratégies ont été mises en œuvre à Baltimore, dans le Maryland, grâce à l’initiative de recherche sur les neurosciences d’ascendance africaine (African Ancestry Neuroscience Research Initiative). Dans le cadre d’une collaboration innovante entre l’Université Morgan State (une université historiquement noire), le Lieber Institute for Brain Development de l’Université Johns Hopkins et les dirigeants de la communauté locale, les chercheurs ont acquis de nouvelles connaissances en neurosciences. Comme le décrit l’article de STAT intitulé « How a Baltimore neuroscience study is rewriting Black America’s relationship with medical research », l’objectif de l’étude était de mieux comprendre la biologie de certaines affections neurologiques, telles que la schizophrénie et la dépression, qui sont plus fréquentes chez les personnes d’origine afro-américaine.
Ils ont constaté que les facteurs environnementaux, qui vont de la pollution à la discrimination, affectent le bien-être neurologique. Ces facteurs ont provoqué des modifications épigénétiques (structurelles) de l’ADN et sont à l’origine de 15 % des cas de maladie. Les gènes qui déterminent la réponse immunitaire de l’organisme étaient également susceptibles d’être plus nombreux chez les personnes d’origine africaine. Comme le stress peut affecter le système immunitaire, il peut aggraver certaines affections neurologiques chez les Afro-Américains. Cette recherche ouvre la voie à des traitements personnalisés fondés sur l’ascendance génétique, les facteurs de stress environnementaux et les expériences vécues, ce qui pourrait améliorer l’état de santé de tous les patients.
Un autre aspect révolutionnaire est que cette recherche a été rendue possible par plus d’une centaine de Noirs de Baltimore qui ont confié aux chercheurs les cerveaux de leurs proches décédés en guise de dons pour l’étude. Alvin C. Hathaway Sr, cofondateur de l’African Ancestry Neuroscience Research Initiative, en témoigne : « Nous avons pensé que si nous pouvions démontrer le succès de ce modèle à Baltimore (une ville dont la population est majoritairement noire et qui a une longue histoire de traumatismes raciaux et de méfiance à l’égard des institutions médicales), nous pourrions mettre en place un modèle susceptible d’être appliqué dans les communautés négligées de tout le pays ». Compte tenu de l’histoire mouvementée entre les communautés noires et les établissements médicaux, cette étude est un exemple de la manière de mener une recherche médicale inclusive et de ses avantages profonds.
L’espoir d’une recherche plus inclusive sur le cancer se profile à l’horizon, puisque l’American Cancer Society mène une nouvelle étude pour aider à lever les obstacles à la prévention, au diagnostic et au traitement des cancers chez les femmes noires. L’étude VOICES of Black Women est la plus vaste étude de ce type et prévoit d’enrôler plus de 100 000 femmes noires. L’étude suivra chaque participante pendant 30 ans afin d’observer comment leurs antécédents médicaux, leur mode de vie et leurs expériences du racisme affectent leurs risques de cancer. Une fois inscrites, les participantes devront répondre à deux sondages par an, pour faire le point sur leur santé physique et mentale, leur niveau de stress et savoir si elles ont été victimes de discrimination ou de racisme.
Ces chercheurs reconnaissent la façon dont les communautés noires ont été traitées et s’efforcent de faire en sorte que l’éthique reste au premier plan de l’étude. Dans l’article de NBC News intitulé « Landmark study of cancer in Black women launches in 20 states, aiming to be largest ever », la Dre Alpa Patel, co-chercheuse principale de VOICES, note : « Nous avons vraiment veillé à nous associer avec des femmes noires pour comprendre comment construire cette étude de manière respectueuse ». Ils favorisent ce respect en permettant aux participantes de s’abstenir de fournir leur dossier médical, en ne mentionnant pas les noms des participantes dans les recherches publiées et en faisant appel à un comité d’examen pour assurer un contrôle éthique. Cette recherche constitue une étape importante dans la transformation de la manière dont le cancer est traité et dont les femmes noires sont traitées par la communauté médicale.
Chez Thermo Fisher Scientific, nous nous efforçons de faire progresser l’équité dans la recherche clinique en aidant à former les professionnels de la recherche et de la médecine sur la manière de favoriser des essais plus inclusifs. Un exemple est notre collaboration avec les écoles de médecine du Morehouse College et de l’Université de Stanford dans le cadre du programme TRAIN (Training Researchers to Advance Inclusion Networks). Cette partie du programme a été conçue pour fournir aux professionnels le contexte historique et les solutions fondées sur des données probantes dont ils ont besoin pour interagir au mieux avec les communautés sous-étudiées. Par le biais de cours, de réunions communautaires et d’apprentissage par les pairs, nous leur apprenons à établir des partenariats avec les communautés pour mener des études, qui deviendront à terme un élément permanent du programme TRAIN.
Des tampons aux tumeurs, il est clair que si la médecine progresse, de nombreuses personnes sont laissées pour compte. Pour vraiment faire une différence grâce à la médecine, il est impératif que tous les chercheurs adoptent des méthodes inclusives qui respectent et représentent toutes les communautés afin de créer un avenir plus sain pour tous.
Kelley Northam est rédactrice chez Thermo Fisher Scientific.